Souvenez-vous de ce vieux Delacroix de cents francs, figurez-vous que je viens dans retrouver un aujourd'hui, dans un piteux état, et il m'a parlé...
Un billet de banque raconte
De la Banque de France, je pris mon envol,
Bien pris en charge par des convoyeurs de fonds !
Que d'attentions pour me protéger de tout vol !
Emu, j'en étais secoué, jusqu'à mes tréfonds !
Dans poste de province, je fus déposé !
Fort heureusement des compagnes de ma liasse,
Me séparer, ils n'avaient toujours osé;
Court répit, auquel averti, ne me fiasse !
Eugène Delacroix, illusrant mes deux faces,
Allait en ma compagnie, curieuses aventures
Connaitre, jusqu'à ce que ses traits s'effacent
Par tant d'avides mains, l'ayant pris en pature !
Mon tout premier client fut un marin pecheur !
Facétieux, il cocha mon petit carré blanc,
Puis m'enfouit dans ses profondes, tel un tricheur !
Déjà de mes frères, n'était plus ressemblant !
Mon long périple ne faisait que commencer,
Dans l'attrayante creperie, il me remit,
Récupérant mes sous produits bien harassés,
Et, là me perdit de vue en très bon ami !
Sarabande démentielle allait m'enlacer,
Dans laquelle je connus toutes les fortunes :
Celle d'un riche, de ses richesses lassé,
Me lachant impudemment à quelqu'importune !
Celle-ci s'en offrit un repas de gala,
Digne de " Lucullus", comme les appats !
Me pinçant du bout des doigts, vers la caisse alla,
Scandant au rythme de la musique, ses pas !
Plié en tous sens, jauni, délavé, froissé,
Dépourvu d'odeur, je demeurais la hantise
De tous ces gens qui n'en comptent jamais assez,
Et, pour qui je resterais objet de convoitise !
Parti pour l'étranger, bien vite je revins !
Des plus humbles aux plus fortunés, tous m'ont palpé !
Je suis le seul que tous reconnaissent Divin !
M'idolatrant, jusqu'aller, déments, se scalper !
Je ne compte plus les mains qui m'ont effleuré,
Ni les yeux exorbités qui me dévoraient !
Et, les retraites dans caches bien assurées,
Où, je guettais d'un rayon de soleil, la raie !
Déjà mon Delacroix faisait une jaunisse,
Mes numéros, bien savetés, se devinaient !
Après avoir servi tant de gens sans malice,
Je sentais que l'heure de la retraite sonnait !
Ironie du sort, dans meme poste, échouai,
Méconnaissable, ne fut-ce le numéro
De ce billet, qui à mon pecheur fut alloué;
Alors, brillant, lustré, tout neuf et sans accroc !
Meme tactique: mise en liasse, coffre fort...
Surprise m'attendait le lendemain matin,
Sentant en me palpant, coincidence du sort :
Mon tout premier client....Incroyable destin ....!
Le pecheur reconnut sa coche de deux ans !
Que te voilà changé, gredin, me dit-il :
Taches, scotch, éraflures et patine du temps !
Quelles poches fréquentas-tu ? Te souvient-il ?
Si défraichi, quelles causes avais-tu servies ?
Qu'importait; tu restais neutre avec Delacroix !
Tu ne t'étais, qu'au pouvoir d'achat, asservi !
Créé Par et Pour l'homme, tu n'avais le choix !
Sans nulle discrimination, petits et grands;
De vos fantaisies, reste le pouvoir d'achat,
Si me tenez, vous enverrez au premier rang;
Disgracié, de moi obtiendrez votre rachat !!
